« Tu travailles pour une coopérative? C’est spécial! »
On m’a souvent parlé de cette façon, au fil des cinq dernières années. Il y a beaucoup d’incompréhension quant au modèle économique coopératif.
Notre coopérative funéraire est une entreprise qui a une obligation de rentabilité. Sans rentabilité, il devient impossible de durer dans l’espace-temps. Là où elle diffère des entreprises privées, c’est qu’elle n’est pas là pour accumuler le profit. Sa nature est autre. Cela lui permet d’investir dans l’accompagnement des familles, dans l’organisation d’activités d’éducation, bref, d’être un acteur très présent dans l’évolution du deuil, son créneau principal.
Sa rentabilité est donc utile. Pas stérile.
Au fil des mois et des années qui passent, je remarque avec inquiétude que notre système économique devient de plus en plus stérile. Je repense souvent à un cours d’IVE (Initiation à la vie économique) que j’ai suivi au secondaire. Nous avions abordé la question de l’argent, de son rôle, de ses fonctions. Je me souviens de l’exemple du trou qu’on creuse : on engage des gens pour creuser un trou (ce n’est pas très utile comme exercice, mais il y a de grands principes à tirer de l’exemple). Donc, on fait creuser un trou en retour d’un salaire. L’employé loue son temps et ses efforts et reçoit un pécule en retour. Ce pécule lui permet d’acheter des denrées d’un marchand qui, lui, paie des producteurs. Chacun reçoit une rétribution dans une chaîne qui devient un système économique.
Le principe est que chaque activité économique génère un profit qui fait tourner une roue. Comme la roue doit tourner, celui qui engage l’autre hérite d’une sorte de responsabilité envers lui. Quiconque verse ou reçoit un salaire devient un agent de développement du système économique. Mais, à la base, une chose demeure : chaque transaction apporte une petite impulsion à cette roue qui tourne. Chaque transaction a une utilité dans le système. Le rôle de l’argent, dans tout ça, est clair : une unité de mesure qui vient quantifier les biens et les services.
C’est quand l’argent prend une autre valeur que ça dérape. Ce n’est pas mal de faire de l’argent. C’est ce qu’on en fait après qui compte.
L’histoire de Séraphin Poudrier, le vieil avare mort en tentant de sauver son or, est un exemple des effets pervers de l’argent. Mais le pire, pour moi, c’est cette notion folle par laquelle l’argent n’est plus une unité de mesure, mais un but en soi. Faire de l’argent avec l’argent. Puis, comme l’aurait souhaité l’avare Poudrier, faire encore plus d’argent avec l’argent.
Voyons l’économie comme un arbre. Les branches supérieures cherchent le soleil, la lumière. Si vous modifiez le cycle de vie de l’arbre et que vous arrivez à faire en sorte que toute la sève serve à faire monter uniquement les branches supérieures, vous allez assécher les racines. L’arbre va s’affaiblir et, au premier grand vent, il va tomber.
C’est là qu’on en est.
Et on est tous complices. Je suis le premier à souhaiter que mon argent pour la retraite fasse des petits. Pour ça, il faut que chaque entreprise maximise son profit. Pas qu’elle fasse un profit en respectant ses employés, ses fournisseurs et ses responsabilités sociales, non, qu’elle fasse un profit à tout prix. Et toujours plus, ensuite.
C’est là que le système devient stérile. Parce qu’il ne voit plus que son profit, il assèche sa source et se dit, naïvement, qu’il est bien assez intelligent pour s’autoréguler.
Le profit qui ne sert qu’à être accumulé n’est plus utile.
Le modèle coopératif n’est pas parfait. Mais il a le mérite de mettre les valeurs à des endroits différents. Des endroits qui valent leur pesant d’or.
Oui, je travaille pour une coopérative. C’est spécial, diront certains. Spécialement valorisant, préciserais-je.
Par François Fouquet
Directeur général de la Coopérative funéraire de l'Estrie
Publié dans la revue Profil, printemps 2015