Marcel Leboeuf - Le cœur à la bonne place - Chroniques | Fédération des coopératives funéraires du Québec

Marcel Leboeuf - Le cœur à la bonne place

Marcel Leboeuf aime le monde. Suffisamment pour pardonner quand il est blessé. Amplement pour offrir de son temps quand la mort est aux portes. Dans un cas comme dans l'autre, on parle ici de générosité. Car il faut une certaine dose de don de soi pour ouvrir son cœur comme il sait le faire quand on le réclame ou dans l'adversité. Il a eu sa part de tourments où ses repères ont pris le bord, et parfois son équilibre aussi. Aujourd'hui encore, la vie va aussi vite pour lui que pour un autre, mais il sait faire le choix de s'arrêter. S'arrêter aux moments importants... et pas seulement pour des gens importants. Mais pour tous ceux qui ont compris à quel point c'est simple d'être ensemble, quand le cœur est placé au centre du quotidien.

Vous avez écrit un livre qui s'intitule Rencontrer ses peurs1. Un chapitre entier est consacré à la peur de mourir. Avez-vous peur de la mort?

Ma peur de mourir se situe dans le fait qu'actuellement, j'ai de jeunes enfants. Partir en laissant mes enfants si jeunes, sans papa, elle est là ma peur. Parce qu'autrement, c'est une crainte que j'ai apprivoisée en vieillissant. Je suis quelqu'un de croyant, c'est peut-être ça qui m'a aidé. Chaque personne qui meurt part avec une idée de ce qu'il y a de l'autre côté. Pour ma part, je pense que c'est lumineux et que notre âme revient à son essence.

Vous avez été confronté à la mort dans votre adolescence. Quel impact le choc d'un décès peut-il avoir quand on est jeune?

À 16 ans, j'ai perdu un chum dans un accident d'auto. Ce fut tout un choc. Ma fille Laurence a vécu quelque chose de semblable à 17 ans. Elle était sur un plateau de tournage et deux jeunes de son âge sont morts dans un accident. Être en face de la mort quand on est jeune soulève une foule de questions. Pourquoi lui et pourquoi pas moi? Est-ce que ça va m'arriver aussi? Quand est-ce que ça va m'arriver? De quelle façon? Est-ce que ça fait mal quand on meurt? Souvent, la peur de mourir est apparentée à la douleur.

L'an dernier, la meilleure amie de Diane Lavallée a perdu sa fille de 35 ans. Elle est morte d'un cancer du sein. Il y avait 400 personnes au salon funéraire, la majorité dans la trentaine. Je n'ai jamais vu autant de monde pleurer. C'était d'une tristesse... Elle laissait dans le deuil une petite fille d'un an et demi et un garçon de quatre ans. Là, tu te dis : « pourquoi elle? ». Ces enfants-là n'auront pas de souvenir de leur mère. Pourquoi certains vivent ça si jeune, alors que d'autres n'y sont à peu près pas confrontés de toute leur vie?

Bien sûr, personne ne veut perdre son monde. Mais la vie n'est pas faite comme ça, et un jour on réalise qu'il y en a qui partent avant nous.

Comment réagissez-vous quand vous apprenez que quelqu'un va mourir?

Quand c'est possible, je prends du temps pour aller lui parler. Ça, pour moi, c'est vraiment important. Aller voir la personne avant qu'il ne soit trop tard. Faire le pas nécessaire pour régler nos différends, pardonner... boucler. Ma douleur serait encore plus grande si je ne le faisais pas.

Si j'ai toute ma raison avant de mourir, c'est ce que je veux faire aussi. Parler à mes proches, leur dire de vivre leur vie et d'en profiter. Le plus bel hommage qu'on peut faire à ceux qui partent, c'est de vivre à plein régime, pour eux, et pour soi.

Les rituels funéraires ont beaucoup changé. Y a-t-il de nouveaux rituels qui vous touchent?

Non. Moi je suis plutôt du genre traditionnel. Complètement à l'inverse de mon grand-papa qui est mort à 89 ans. Je suis tombé en bas de ma chaise quand j'ai su qu'il voulait être incinéré après son exposition en 1991. Un monsieur de cet âge, bon catholique, avec toutes ses croyances. Sincèrement, il m'a étonné. Son corps est donc allé à Québec pour l'incinération après la cérémonie funéraire. Une semaine plus tard, ma mère m'appelait pour me dire que les cendres de mon grand-père étaient arrivées par Purolator. Attends une minute là... Purolator? Ça m'a fait capoter. Il a vécu toute sa vie et une fois qu'elle est terminée, on le retourne à la maison en autobus? Il est où le côté sacré dans tout ça?

Je vais peut-être en surprendre plusieurs, mais moi je veux être exposé et enterré dans un cercueil comme la vieille tradition. C'est important pour moi l'exposition du corps. Je trouve qu'il y a un effet de décompression là-dedans. Me semble que ça se passe mieux au niveau des adieux. Je sais bien que c'est juste une enveloppe, mais j'aime voir la personne, pouvoir la toucher, avoir un contact.

C'est comme quand Michel Daigle est mort, il a tenu à être enterré dans son village, pour son monde. S'il avait été exposé à Montréal, plusieurs artistes seraient allés le voir, c'est certain. Mais Michel considérait que les gens de Sainte-Perpétue ne l'avaient jamais laissé tomber, et il a voulu que ça se passe chez eux. Il n'a pas renié ses racines, c'est tout à son honneur.

Dans le passé, vous avez traversé une période difficile qui vous a amené à faire Compostelle. Pourquoi Compostelle?

J'avais lu ça dans la revue GÉO il y a à peu près 16 ans : Saint-Jacques de Compostelle, un pèlerinage qui existe depuis 1150 ans. Semble-t-il qu'un apôtre est enterré là. Est-ce vrai? On n'était pas là quand ils l'ont enterré! De toute façon, ce n'est pas important. L'important c'est pourquoi on fait Compostelle. Donc je m'étais dit qu'un jour je ferais ça. Mais on dit plein d'affaires dans la vie qu'on ne fait jamais.

Puis, un jour, la vie s'est chargée de moi. Elle a dit : « Toi mon Leboeuf, tu vas marcher ça! »

Différents événements ont provoqué ma décision. Pour commencer, pendant un an, le téléphone n'a pas sonné pour moi. Plus personne ne me voulait comme comédien. Je me suis donc tapé une dépression. Je me disais que le monde au Québec ne m'aimait plus. C'était fou de penser ça, parce que dans ma job, ça marche par cycle. Des fois t'es en haut, des fois t'es en bas. Faut pas s'en faire avec ça. Remarquez que ça vaut pour n'importe qui sur la planète.

Ensuite, comme un malheur n'arrive jamais seul, j'ai eu une grosse peine d'amour. Quelqu'un m'a laissé et j'ai eu beaucoup de chagrin.

Le dernier événement est venu d'un de mes amis, Pierre Prince, qui avait travaillé à mon théâtre d'été. Il était venu me voir un soir dans ma loge en me disant qu'il voulait me parler. Il avait maigri de 100 livres et il était pas mal amoché. Il me dit : « Écoute Marcel, tu es chanceux de pouvoir planifier des choses dans ta vie. Moi je sors de l'hôpital et j'ai un cancer généralisé. Je ne serai pas là pour fêter le premier anniversaire de mon fils. Toi qui as la santé, depuis le temps que tu me dis que tu veux faire Compostelle, fais-le donc. »

C'est pour ça que j'ai marché.

Qu'est-ce que ça vous a apporté?

Deux choses. La première : le lâcher-prise par rapport à des situations et à des gens qui m'ont fait du mal ou qui se moquent de moi. Arrêter d'en vouloir à l'autre, pardonner vraiment, me relever, continuer et avancer. Cesser de faire du surplace en petite boule dans un coin du salon. Que ce soit pour un cœur blessé ou pour le travail, le lâcher-prise est bien important.

La deuxième chose, c'est de vivre le moment présent. Comme comédien, je suis toujours à me demander si je vais avoir du travail demain. Demain... peut-être que je ne serai plus là demain. Vivre le moment présent ne veut pas dire fuir ses responsabilités, mais surmonter les difficultés au moment où elles se présentent. Vivre le « maintenant », c'est ça que Compostelle m'a appris. J'y suis allé à trois reprises, un mois chaque fois à partir de 2002. Sans exagérer, dans ma vie, il y a un avant et un après-Compostelle. Ç'a été un point charnière qui m'a permis de faire une grande réflexion.

Et la leçon est restée?

Oui. Savez-vous pourquoi? C'est grâce aux conférences que je donne. Et j'en donne entre 60 et 100 par année. Dans chacune d'elles, je parle de Compostelle. Chaque fois que j'en parle, je le remarche. Je redis le bienfait que ça m'a apporté. Donc, je n'ai pas vraiment le choix de l'appliquer.

Il y a un monsieur comme ça qui a fait Compostelle parce qu'un jour il m'a entendu en parler. À son retour, on lui a diagnostiqué un cancer du cerveau. Alors qu'il était en rémission, il vient me voir pour me parler de son voyage, mais comme j'étais en plein déménagement, j'ai remis ça à plus tard. Lorsque je l'ai contacté, sa femme m'a informé qu'il était en phase terminale. Avec mes horaires de fou, je suis arrivé une demi-heure trop tard. Il était devant moi, mort sur son lit d'hôpital, et je parlais avec sa femme. Ça faisait drôle, car je ne les connaissais pas beaucoup. Mais en même temps, j'avais l'impression de les connaître depuis longtemps. J'étais comme un enfant de la famille. Quand je suis revenu à mon auto, il y avait un message sur mon répondeur laissé la veille par le monsieur. Il disait : « Écoute mon chum, si tu n'as pas l'occasion de venir me voir, n'angoisse pas avec ça. Merci de m'avoir fait faire Compostelle. Quand je serai de l'autre bord, je penserai à toi. »

Ça fait plusieurs fois que ça m'arrive ce genre d'histoire où on me demande de contacter quelqu'un qui m'aime et qui est sur le point de mourir. Je n'ai aucun problème avec ça. Même s'ils ne font pas partie de mes proches, ils font partie de la famille humaine. C'est ça aimer le monde.

Vous aimiez beaucoup votre grand-père. Étiez-vous là quand il est mort?

Non, mais j'étais là quelques jours avant qu'il meure. Grand-père avait demandé à la Sainte Vierge de mourir rapidement, et il est mort très rapidement. Il ne voulait déranger personne et il est parti sans déranger. La dernière fois où je l'ai vu, c'est quand je suis allé le mener à l'hôpital parce qu'il était très malade. C'est là qu'on a partagé nos derniers moments ensemble.

Que vous a-t-il légué?

Il m'a légué la passion de la forêt. Un jour, en 1981, j'étais chez lui. Il était assis au bout de la table et il s'est levé. Il m'a dit : « P'tit gars, aujourd'hui je te donne mes terres à bois ». Au-delà du geste matériel, c'était un geste d'amour. Je suis un fou de la forêt depuis que je suis tout petit. Et c'est grand-père qui m'a transmis cette passion. Quand il m'amenait dans le bois, il m'apprenait le nom des arbres et des plantes. Il m'a légué cet amour-là. Il m'a légué une façon de vivre, une façon d'être sur Terre.

Aujourd'hui, ce n'est pas étonnant que j'aie un vignoble, que je sois entouré de gros arbres ou que je fasse du jardinage. Si j'ai du chagrin ou que je me sens un peu dépressif, je rentre dans la forêt et ce n'est pas trop long que les arbres m'aident. L'amour de la forêt prend une très grande place dans ma vie. Et c'est grâce à mon grand-père.

Et vous, qu'aimeriez-vous léguer?

La même chose. Ce même amour d'être en vie. Des valeurs humaines d'entraide qui font qu'on avance en aidant les autres. Mais on n'est pas toujours conscient de ce qu'on laisse à nos proches. Souvent, sans le savoir, des gens nous disent des choses et ne savent pas qu'elles vont servir. J'ai un bel exemple avec Marie-Soleil Tougas.

Quand ma fille Laurence avait huit ans, je l'avais amenée à Fort Boyard. Ça faisait trois mois qu'elle avait dit à toute son école qu'elle venait avec moi. La veille, dans une salle où on était, une dame nous informe que ma fille ne pourra pas aller au Fort le lendemain à cause des assurances. Laurence a eu une peine immense, et moi probablement plus qu'elle. Ça faisait trois mois que je lui mettais ça dans la tête. Je ne savais pas quoi faire. Marie-Soleil arrive et me dit de ne pas me tracasser, qu'elle allait tout arranger. Elle part dans un restaurant avec Laurence et revient tard en soirée. À son retour, ma fille vient me voir pour me dire que tout était réglé. Je demande à Marie-Soleil ce qu'elle a bien pu lui dire, et elle me répond : « Je lui ai dit qu'un jour, elle aussi serait comédienne ». Donc, qu'est-ce que Marie-Soleil a légué à ma fille avant de mourir? Ce n'est pas de l'argent, c'est une petite phrase pour lui permettre d'orienter sa vie.

Quand Marie-Soleil est morte, Laurence avait 12 ans. C'était la première fois qu'elle perdait quelqu'un qu'elle aimait. Elle a eu beaucoup de chagrin. Trois jours après, elle nous annonçait qu'elle voulait être comédienne. Et si elle l'est aujourd'hui, c'est grâce à Marie-Soleil.

Or ç'a été la même chose avec mon ami Pierre et avec mon grand-père. Ils m'ont légué des phrases. De là l'importance de la parole. C'est pourquoi j'essaie de faire attention à ce que je dis aux gens, et aux mots que je choisis. Car qui sait, peut-être que ce sera une partie de mon héritage.

Quand vous vivez un deuil, qu'est-ce qui vous fait du bien?

Les souvenirs. Je me rappelle les bons moments passés avec la personne décédée et je me dis que quelque part, son âme est encore là. Ce sont mes croyances, mais je me garde une porte ouverte sur la possibilité que ce ne soit pas vrai. Mais ça m'apaise beaucoup de penser qu'il y a une suite après, et que ceux que j'aime sont encore là.

Au décès de ma mère il y a cinq ans, je lui avais glissé un petit mot à l'oreille sur son lit de mort. Par la suite, une voyante m'a contacté pour me dire que ma mère avait un message pour moi. La dame en question pouvait exactement me dire ce que j'avais confié à ma mère, car elle parlait avec les morts. Peut-être bien que c'est une entourloupette du cerveau. Quoi qu'il en soit, curieusement, c'est venu me rassurer. C'est venu calmer la peine que j'avais d'avoir perdu ma mère.

Moi je crois qu'après la mort, il y a une continuité qui donne du sens à ce qu'on vit maintenant. Ce serait bête que ça s'éteigne. Qu'on ferme les lumières et qu'il ne se passe plus rien. En fait, quand j'y pense, elle est peut-être plus là ma vraie peur... qu'il n'y ait plus rien.

Entrevue et texte : Maryse Dubé
Photo : François Lafrance
Publié dans la revue Profil - Printemps 2016

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  1. Marcel Leboeuf et Marilou Brousseau, Rencontrer ses peurs, Les Éditions Le Dauphin Blanc, 2014.