La fin de vie forme un parcours empreint de vulnérabilité, tant pour la personne qui s’éteint que pour ses proches. C’est une rencontre intime avec l’inconnu. L’opacité des décisions médicales, le dédale des réalités pratiques, l’étrangeté du décor médical où se dérobe l’intimité, le corps qui devient méconnaissable, les tensions et régressions dans la famille en crise. Et surtout, l’Inconnu de la mort qui souffle un air d’incertitude et d’angoisse, même dans le cœur de ceux qui croyaient l’avoir apprivoisé.
L’apaisement et l’espoir qui permettent de faire face à sa propre mort ou à celle d’un être cher tiennent beaucoup à l’accompagnement en fin de vie. Quand la majorité était religieuse, le prêtre jouait un rôle central, offrant une vision consolatrice du monde où la mort avait sa place légitime. Ces médiateurs de la transcendance agissaient comme des passeurs, guidant les familles à travers l'inconnu de la mort. Ce rôle de passeur rappelle les figures mythologiques de l’Antiquité, conduisant les âmes d'une rive à l'autre du fleuve séparant le monde des vivants de celui des morts. Le passeur aide à traverser les frontières du mourir, de la mort et du deuil, mais aussi à transformer le lien entre vivants et défunts, qui continuent de jouer un rôle dans la société.
Par le passé au Québec, la tradition catholique jalonnait ce chemin avec des rites (confession, sacrement des malades, veillées), ouvrant la voie à une après-vie où projeter la destinée du groupe. Aujourd’hui, mourants et familles se retrouvent souvent désemparés, dépourvus de repères alors que les systèmes de sens traditionnels se sont effrités. Plus de réponses allant de soi aux grandes questions que la mort suscite : Quel est le sens de la vie? Ai-je bien vécu? La mort est-elle une fin ou un commencement? Comment vais-je vivre sans cette personne? Cependant, les familles ressentent souvent l’intuition de poser un geste ou de prendre un moment pour honorer le mourant, sans toujours savoir comment s'y prendre.
Accompagner au-delà des croyances
Récemment émergent des passeurs non religieux capables d'accompagner les mourants et leurs proches, quelles que soient leurs croyances, pour clôturer la vie, créer une transition et maintenir la continuité du vivant sur les plans psychosocial ou spirituel, ou en conciliant les deux. Or, beaucoup de familles ignorent l’existence de ces soutiens et ne demandent pas l'aide d'un tiers pour les guider. Pourtant, un guide externe offre une perspective, un appui, et des connaissances précieuses pour traverser ce chemin éprouvant. La confrontation à la mort peut altérer notre capacité à penser clairement, à agir sagement ou à démêler des dynamiques familiales fragilisées. Un passeur idéal fait preuve d'empathie, d'écoute, de présence apaisante, d’adaptabilité, d’humilité, et de compréhension des enjeux émotionnels et relationnels en fin de vie. Leur vocation d’aide est au cœur de leur travail.
En institutions de soins, les intervenants en soins spirituels (ISS) sont tout désignés pour jouer ce rôle. Bien qu’issus des traditions chrétiennes, ils accompagnent des personnes de toutes croyances, y compris athées et agnostiques. Leur force réside dans leur capacité à faciliter les relations familiales et à médiatiser le passage vers l'après-vie, grâce à leur connaissance des traditions religieuses et philosophiques, et à l’art du rituel. Ils offrent des rites de passage, allant des échanges informels aux cérémonies d’adieux élaborées selon les souhaits des patients ou familles. Ces rituels aident à exprimer des gratitudes, souhaits ou pardons, à transmettre un héritage moral ou spirituel, ou à encadrer le moment délicat des adieux, lors de l’aide médicale à mourir notamment.
L’accompagnement peut également inclure des prières, méditations guidées ou bilans de vie. Les ISS peuvent être sollicités auprès des centres hospitaliers, CLSC, soins palliatifs ou résidences pour aînés. À domicile, la Fondation Jeanne Mance peut fournir un accompagnant spirituel en accord avec le CLSC du quartier. Les familles peuvent aussi contacter des organismes comme le Mouvement Albatros, le Pèlerin, ou certains ordres religieux pour trouver un accompagnant spirituel.
Offrir un espace pour apaiser la détresse
Dans les soins et le secteur communautaire, les travailleurs sociaux jouent également le rôle de guides de fin de vie. Leur approche psychosociale met l'accent sur la relation d’aide et l’écoute, offrant un espace sûr pour apaiser la détresse et exprimer les émotions. Ils apportent une valeur pratique en facilitant la navigation dans le système de santé : coordination des soins entre professionnels et explication des options de traitement et des considérations juridiques et éthiques. Ils aident également les familles dans les arrangements funéraires, les questions testamentaires, et l’accès aux ressources communautaires pour le deuil. Certains ajoutent une dimension symbolique à l’accompagnement en proposant des rituels simples en fin de vie.
Au Québec, la variété des accompagnants de fin de vie privés est en croissance. En faisant une recherche sur internet avec les mots-clés indiqués en italique, on découvre divers profils, dont les thanadoulas (« thanatos » (mort) et « doula » (servante, assistante). Principalement des femmes, les doulas sont formées pour offrir un soutien émotionnel, pratique et spirituel aux personnes en fin de vie et à leurs familles, avec une approche personnalisée et ancrée dans les liens communautaires. Certaines proposent des rituels sur une période allant de la fin de vie au deuil.
Des accompagnateurs de fin de vie formés comme coachs de vie avec une approche humaniste ou comme coachs spirituels s’inspirant des spiritualités centrées sur la nature, la pleine conscience ou la guérison énergétique, émergent également. Certains se présentent comme des célébrants de fin de vie et ont une sensibilité rituelle qui peut convenir à certaines personnes. Ce portrait des protagonistes d’un Ars Moriendi moderne devrait se développer dans les années à venir. J’espère que les citoyens prendront conscience de la valeur de ces passeurs de fin de vie, une reconnaissance qui légitimerait leur présence dans les milieux de soins et contribuerait à humaniser, voire réenchanter, ce passage qui nous attend tous.
Cet article est tiré de la revue Profil.
Avez-vous ressenti le besoin d’être accompagné à l’approche de la mort d’un proche, ou souhaitez-vous être guidé sur le chemin de votre propre fin? Que signifierait pour vous le rôle d’un passeur entre la vie et la mort?
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