Marina Orsini – Apaiser le dernier souffle - Chroniques | Fédération des coopératives funéraires du Québec

Marina Orsini – Apaiser le dernier souffle

Le deuil, c’est un grand mot. C’est ainsi que Marina Orsini a commencé l’entrevue. Le ton était donné. Rapidement, elle nous a laissés entrer dans son univers coloré avec les qualités qu’on lui connaît. Celles qui permettent l’authenticité et la simplicité. D’un naturel remarquable, cette femme au grand coeur aime les gens et ça paraît. Aucun horaire, aussi chargé soit-il, n’arrive à ternir sa faculté d’être attentive aux autres. Malgré les épreuves qui ont jalonné sa route, elle est une source inépuisable de bonté. De là, sans doute, sa capacité à accompagner la mort des siens.


Vous avez été confrontée au deuil de votre père quand vous aviez 23 ans. Comment ça s’est passé?

Mon père est tombé gravement malade d’un cancer alors que j’étais en plein tournage des Filles de Caleb. Quand il est mort, je ne devais même pas être là, car j’étais en Mau­ricie pour le tournage. Mais puisque le réalisateur Jean Beaudin venait faire un tour à Montréal, j’ai fait le voyage avec lui pour aller voir mon père qui était hospitalisé. Il est décédé le lendemain matin. C’est un peu comme s’il m’avait lancé un message de revenir pour le voir, car ce n’était pas prévu que je sois là.

Jean est venu me chercher directement à l’hôpital. Mon père venait de mourir, qu’est-ce qu’on allait faire avec le tournage? Beaucoup d’argent était en cause : une grosse équipe en location, les hôtels, les per diem… On m’a donné le choix : soit on arrêtait, soit on continuait. J’ai choisi de continuer. Alors, on a réaménagé l’horaire. Je tournais très tôt le matin, je finissais à midi et je partais à Montréal avec mon producteur. Le soir, à 10 h, je reprenais la route vers la Mauricie et j’apprenais mes textes dans l’auto. J’ai fait ça pendant 4 ou 5 jours.

Le deuil se vit comment quand on est en tournage?

Le tournage des Filles de Caleb s’est échelonné sur une pé­riode de deux ans. En deux ans, on vit plein d’affaires : des deuils, des mariages, des divorces, des naissances. On passe plus de temps avec l’équipe qu’avec sa propre fa­mille. En deux ans, on tisse des liens. Tout de même, j’avais mis mon deuil sur pause parce que j’étais en mode survie. Mon corps était en état de protection. Sur le moment, on y arrive. C’est par la suite qu’on se demande comment on a fait.

Deux mois et demi après son décès, la réalité m’a rattrapée et c’est là que le deuil a vraiment commencé. J’en ai eu pour quelques semaines à absorber le coup.

Au décès de votre mère, en quoi ce fut différent?

Ma mère habitait près de chez nous, de l’autre côté de la rue. On a toujours été très proches. On a beau savoir que logiquement nos parents vont mourir avant nous, on n’est jamais vraiment préparé à ça. Quand ma mère est morte, c’est là que j’ai compris qu’un jour j’allais mourir. Je le sa­vais, mais ce n’était pas vraiment intégré.

Ça fait quatre ans que ma mère est décédée, quatre ans que je ne l’ai pas vue alors que je la voyais tout le temps. Elle traversait la rue pour venir souper ou c’est moi qui allais chez elle. Quatre ans, et je me dis encore que ça ne se peut pas. Ma mère était toujours sur une patte, elle avait plein de projets, elle aimait la vie et elle ne voulait pas mourir. C’était une force de la nature. Elle avait 75 ans quand elle est morte, mais elle avait l’air d’une femme de 60 ans. Une magnifique femme d’ailleurs. C’est extrêmement difficile de voir quelqu’un comme elle qui diminue sous tes yeux tous les jours.

Vous l’avez accompagnée tout au long de sa maladie. Avec une vie chargée comme la vôtre, ça se traduit comment?

Tout était organisé en fonction de ma mère, même si j’avais deux émissions quotidiennes. Je tournais la série Trente vies et quand je finissais, j’allais faire mon émission de ra­dio. Même aujourd’hui, avec le recul, je ne comprends pas comment j’ai réussi à vivre ça; et puis, j’avais un enfant.

Le matin, mon fils partait pour l’école et moi je partais pour l’hôpital avec ma mère. J’organisais toute sa journée jusqu’à 15 h, et je préparais mon émission pendant qu’elle recevait ses traitements de chimio. Je gérais son agenda médical qui finissait par ressembler à un agenda de premier ministre : les rendez-vous avec les spécialistes, les résultats à aller chercher, les autres rendez-vous à coordonner. Heu­reusement que ma mère n’était jamais seule. Avec tous les suivis à faire, il faut être en santé pour être malade. C’est une job à temps plein.

Aviez-vous du soutien?

J’ai eu la chance d’être bien entourée par ses trois soeurs, son frère et mon amie Pauline. Ils me donnaient un coup de main au niveau des horaires. Une chance que j’ai eu de l’aide, parce que je pense qu’on m’aurait donné un lit à côté d’elle.

Mais au bout de six mois, j’ai quand même dû consulter. J’avais besoin de comprendre des choses parce que je vou­lais être une aidante efficace. Nous étions toutes les deux fortes de caractère et j’avais besoin de m’outiller autrement si je voulais qu’on traverse ça ensemble. Je suis donc allée voir une psychologue spécialisée dans le deuil, ce qui, en soi, était déjà spécial. À force de parler avec elle du lien qui nous unissait ma mère et moi, elle a fini par me dire : Imagine que tu es dans une voiture. C’est toujours toi qui as été derrière le volant alors que ta mère était à tes côtés. Aujourd’hui, tu es dans une phase où c’est ta mère qui est derrière le volant et toi dans le siège du passager. Tu dois respecter son rythme, ses besoins, ses limites.

Elle m’a donné toutes sortes d’outils et a su apaiser cette urgence que j’avais d’aider ma mère. J’avais tendance à in­sister. Je voulais qu’elle mange, même quand elle n’avait pas faim. Je la forçais à aller prendre une marche pour qu’elle prenne l’air. Je la chicanais parce qu’elle avait sou­vent été négligente par rapport à sa santé. On veut telle­ment pour eux, et c’est normal. Bien souvent, on veut plus qu’eux. Quoique ce n’est pas tant qu’ils ne veulent pas, c’est surtout que leurs capacités sont limitées. Et c’est ce qu’on oublie de prendre en considération quand on accompagne un être cher dans la maladie.

La plus belle chose que je pouvais donner à ma mère, c’était d’être là, avec elle, dans les silences, les rires, ou encore dans nos différences. Et malgré cette terrible période où on en voulait à la vie, où il nous arrivait d’être indignées, frustrées et enragées, on a vécu des choses vraiment ex­ceptionnelles. Elle m’appelait son ange… elle me faisait tellement confiance.

Arriviez-vous à faire une coupure entre votre vie professionnelle et votre vie de proche aidante?

Dans le travail, il y a quelque chose de thérapeutique. Ça nous aspire vers autre chose, ça nous amène ailleurs. Ce qu’il y avait de bon, c’est que j’étais à la radio tous les jours. Et la radio, c’est en direct. J’étais obligée de fermer la switch de ma vie pour préparer mon émission et être com­plètement avec mes invités. Ça me forçait à décrocher. The show must go on, c’est ça notre métier. Néanmoins, ça m’a demandé beaucoup de force.

Étiez-vous présente lorsqu’elle est morte?

Ma mère a toujours été là pour moi, dans le bon comme dans le moins bon. Et moi aussi. On était importante l’une pour l’autre. Je me souviens que la veille de son décès je m’étais retrouvée seule avec elle à l’hôpital. Elle a levé les yeux vers moi et m’a dit : est-ce que je suis en train de mourir? En quatre ans de maladie, c’était la première fois que ma mère me disait ça. Elle avait peur de la mort.

Et qu’avez-vous répondu?

Je lui avais promis que je lui dirais toujours la vérité. Que je ne lui cacherais jamais rien. Alors, je l’ai regardée en lui disant : ça se peut. T’es peut-être en train de mourir. Ton rein gauche ne fonctionne plus. Ils ne savent plus quoi essayer, Mom. Notre discussion a duré pendant peut-être une demi-heure. Je lui ai relaté sa vie, ses succès, tout ce qu’elle avait accompli. Que ça avait été un honneur pour moi d’être sa fille… Même si je ne voulais tellement pas qu’elle s’en aille, je lui ai dit de ne pas s’inquiéter pour nous, qu’on allait être correct. Dans cet adieu, on a beaucoup pleuré. C’était un moment exceptionnel.

Elle a levé les yeux vers moi et m’a dit : est-ce que je suis en train de mourir?

Le lendemain matin, son départ était amorcé. Je l’ai vu tout de suite quand je suis entrée dans la chambre. Elle ouvrait peu les yeux, dormait beaucoup, et elle avait des moments de confusion où elle voyait son père et sa mère. En fin de soirée, nous étions tous avec elle. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai dit à tout le monde de sortir. Je voulais être seule avec ma mère.

Toute la journée j’avais vu dans quel état elle était, et ce n’était pas beau. Elle râlait, la bouche entrouverte, agoni­sante. Ce n’était pas ma mère. Comme son coeur était so­lide, ça pouvait durer encore longtemps. Je lui ai dit : Il faut que tu t’en ailles Mom, c’est le temps de partir. Puis, je me suis placée à sa tête, j’ai glissé mes deux mains sous sa jaquette et je lui ai pris le coeur entre les mains en lui disant : je suis là avec toi, Mom, je te tiens la main. Je t’accompagne, tu peux t’en aller. Je te guide… Elle a fermé sa bouche. Son coeur a ralenti. Sa respiration s’est apaisée et s’est espacée de plus en plus. C’est là que je suis allée chercher toute la famille qui attendait dans le salon. Elle est décédée dans les minutes qui ont suivi. J’ai vraiment accompagné ma mère jusqu’à son dernier souffle. Pour moi, ç’a été un cadeau de lui tenir le coeur ainsi. C’était ma façon de lui dire vas-y, j’avance avec toi. Vas-y jusqu’à la porte, je vais l’ouvrir avec toi, puis je vais te laisser aller. Regarde, tout va bien. On ne pouvait pas être plus en com­munion qu’à ce moment-là.

Après une expérience aussi intense, sa présence doit beaucoup vous manquer.

Oui, elle me manque. Mais ce que je vis tous les jours sur le plateau de Marina me rappelle sans cesse ma mère. Quand j’étais petite, elle enseignait l’art de la table et des vins, on appelait ça le perfectionnement féminin. Je la suivais sou­vent. Je l’ai vue préparer ses petits cartons, comme je le fais aujourd’hui pour mon émission. Ma mère est ici tous les jours avec moi. En fait, je la sens en moi. Je crois à la vie après la mort. Ça ne se peut pas qu’il n’y ait plus rien après. Voyons donc! Tout ça pour rien? Je me dis que ça continue autrement, dans une autre dimension.

Comment a réagi votre fils à la mort de sa grand-mère?

La mort est quelque chose qui fait peur à mon fils. Malheu­reusement, Thomas a vécu plusieurs deuils dans sa vie. C’est un enfant qui a été éprouvé très vite. Au décès de ma mère, il n’a pas voulu venir au salon funéraire et j’ai res­pecté son choix. Pour lui, sa nonna, ce n’était pas ça. Il ne voulait pas voir sa grand-mère dans un cercueil. Il ne voulait pas vivre ça. Le fait de la voir malade l’avait déjà grandement affecté. Thomas était très proche d’elle, car ma mère avait beaucoup pris soin de lui. C’était comme une deuxième maman. Quelques jours avant son décès, il lui a donné un toutou qu’il avait gagné, accompagné d’un petit mot.

Lorsque vous traversez une épreuve, qu’est-ce qui vous fait le plus de bien?

Quand je me suis séparée de Serge, je suis vraiment tombée de très haut. Je ne l’ai pas vu venir et je ne souhaitais sur­tout pas ça. Mais je me rappelle que rapidement, je me suis surtout concentrée sur ce que j’avais et non sur ce que je n’avais plus dans ma vie. Je suis comme ça. C’est ce qui fait que quand ma mère est décédée, ça m’a donné encore plus le goût de vivre et d’être heureuse. Le fait d’être orpheline me donnait le droit de faire d’autres choix. J’ai fait un cer­tain ménage et je suis devenue moins tolérante par rapport à certaines choses. J’ai surpris bien des gens. Souvent, on veut plaire à tout le monde et on veut être aimé. C’est le propre de l’humain et c’est normal. Mais aujourd’hui, j’ai moins besoin de ça. Je reste quelqu’un de respectueux qui aime l’harmonie, mais j’arrive beaucoup mieux à m’affir­mer et à assumer ce que je suis.

Vous qui lisez beaucoup, quelles sont les lectures qui vous ont aidée?

Après son décès, j’avais besoin de lire sur tout ce qui avait un rapport avec les mères : C’est le coeur qui meurt en der­nier de Robert Lalonde, Ma mère est un flamand rose de Francine Ruel, Une femme discrète de Catherine Perrin. Pour me consoler, j’avais besoin qu’on me raconte. Parle-moi de ta mère et je vais peut-être y voir la mienne. Ça m’a donné le goût d’écrire l’histoire de ma mère. C’est encore en chantier et j’y reviens de temps en temps.

Les animaux de compagnie ont une place importante dans votre vie. Avez-vous déjà vécu un deuil animalier?

J’ai braillé ma vie quand j’ai perdu des animaux. Pour moi, ils sont très importants. Je ne peux même pas imaginer ma vie sans eux. Pensez à la zoothérapie et à ce qu’ils peuvent apporter. À une époque, Serge et moi avions deux chiens. C’est fou les leçons de vie qu’ils nous ont données. Ils n’ont aucune rancune, sont loyaux et leur amour est incondition­nel. J’ai tellement appris d’eux.

Je ne pense pas qu’on soit fait pour être seul dans la vie. À défaut d’avoir un amoureux ou de la famille, les animaux ont un apport gigantesque dans l’existence de certaines personnes. Ils sont indéniablement une source de bonheur.

Peut-on vraiment choisir d’être heureux dans toutes les circonstances?

Dans la vie, il y a des passages obligés. Des passages où il n’y a pas d’autre route que la douleur. Et ça demande du courage. Quand on a mal, on a mal. Par contre, je ne suis pas de celles qui croient qu’il faut souffrir pour comprendre. Je pense que ce n’est pas nécessaire. Mais les deuils nous ramènent à notre propre existence. Chaque épreuve amène ses capacités et ses limites. L’important c’est de vivre le moment présent, de ne pas s’isoler et d’aller chercher de l’aide quand on en a besoin. C’est à ce moment-là qu’on se rend compte de l’importance d’être bien entouré, à quel point notre famille et nos amis sont précieux. Parfois, on a tendance à se refermer. Il faut aussi être à l’écoute de ceux qui nous tendent la main ou qui nous ouvrent une porte. Se dire que tout ce qui touche le fond a la capacité de rebondir.

On a tous une histoire à raconter, des blessures d’enfance, on a tous des deuils. La vie a été difficile? C’est aussi ça la vie. Tu ne peux pas fuir d’où tu viens ni qui tu es. Je me rappelle d’une entrevue avec André Sauvé, il m’avait dit : Tu sais Marina, quand j’étais jeune, je me suis mis à voyager parce que je voulais me sauver de moi-même. Je me suis rendu quasiment au bout du monde, dans le fin fond de je ne sais plus où. Pis quand je me suis reviré de bord, ben j’étais encore là.

C’est long une vie. Dieu merci, parce qu’à tout moment on peut se rattraper! Choisir ce qu’on fait avec ce qui nous est arrivé est notre responsabilité. Et quand on arrive à faire du beau avec du laid, c’est vraiment quelque chose de ma­gnifique.

Entrevue et texte : Maryse Dubé
Photo : François Lafrance
Publié dans la revue Profil - Printemps 2018

Commentaires (1)

Magnifique texte. C'est ça la réalité de la vie avec ses passages "obligés" desquels il est nécessaire de continuer en voyant tout autrement et en faisant pour le mieux...

Jean Potvin, 29 mai 2018